Vita da fotografo

Mémoire des Années de Pluie, Cambodge 2000-2005

  • date
  • 14 July 2017
“Sur les traces de la Mémoire” Nicolas Pascarel
 
Quand Nicolas Pascarel débarque au Cambodge, la mémoire du pays lui colle déjà aux basques. Une mémoire que le photographe français entretient déjà depuis la fin des années 80 lorsqu’il devient en 2000 le professeur d’étudiants de l’université des beaux arts à Phnom Penh. Aussi sûrement que l’araire creuse le sillon, l’histoire cambodgienne trace en lui le chemin à suivre pour les quatre ans qui suivent : réunir le passé, le présent et l’avenir de ce pays qu’il apprend à aimer à travers l’œil de son boitier argentique. Le résultat s’intitule « Short cut memory » ou « Mémoire des années de pluie », soit 34 dyptiques de 50X120 cm, exposés à la fois au Musée du génocide de Tuol Sleng (S21) et au Centre culturel français, et confrontant clichés pris à Tuol Sleng, portraits des enfants des rues, réalisés en collaboration avec l’ONG Krousar Thmey, et scènes de vie sur les bords du Mékong. Le tout dans une exposition de monochromes bruts saisis aux limites des possibilités techniques.
 
Cambodge soir : De quand date le projet « Mémoire des années de pluie » ?
Nicolas Pascarel : le projet est né un peu avant mon premier voyage au Cambodge en 2000. a cette date, cela fait plus de dix ans que je voulais venir ici. L’opportunité s’est présentée par le biais d’un poste d’enseignant à l’université des Beaux Arts de Phnom Penh. Pendant quatre mois, j’ai enseigné la photo aux étudiants. A leur contact, j’ai saisi que je ne pouvais pas me contenter de traiter la mémoire. Il me fallait également parler de l’absence de mémoire d’une génération qui ne se préoccupe ni de Pol Pot ni des Khmers Rouges.
 
Comment voulez-vous raconter ça ?
J’ai eu l’idée de raconter trois petites histoires sur le passé, le présent et le futur. Les photos à Tuol Sleng devaient illustrer le passé. L’illustration de présent s’est imposée lorsque j’ai pris conscience de la réalité des gamins des rues. Cette violence, cet abandon étaient pour moi les conséquences directes du régime de Pol Pot. Un régime qui a « révolutionné » ce pays dans sa mentalité. Le Mékong m’a donné la matière pour le futur. J’y ai passé 200 soirs à scruter le même endroit, à regarder ce fleuve qui, selon moi, nourri la vie du Cambodge. Si vous regardez bien, c’est l’un des seuls lieux ou les cambodgiens prennent le temps de réfléchir sur eux mêmes, ou une passerelle nait entre passé et avenir, ou jeunes, bonzes et vieux se rencontrent. Entre chien et loup, il y a comme une douceur et une sérénité qui devait conclure mon travail.
 
Sur le passé, vous vous focalisez surtout sur Tuol Sleng, pourquoi ne pas vous être confronté aussi aux Khmers rouges ?
Ca ne m’intéresse pas. Pour travailler, j’ai besoin de sentir une empathie avec la personne. Que ce soit à La Havane (« Una vita nuova ») ou à Phnom Penh, j’ai envie de raconter le commun des mortels. En clair, je ne photographie pas les cons. Je ne leur ferai pas ce plaisir. C’est la même chose pour les Khmers rouges. Si c’est pour les entendre répéter sans cesse « j’ai exécuté les ordres », je m’en fiche. Chaque être est libre. Moi, j’ai choisi une vie, j’en ai payé le prix. En revanche, l’abandon des enfants résonne en moi. Môme, je n’avais pas les moyens financiers de faire ce que je voulais. J’ai du creuser mon chemin. Pour en revenir à Tuol Sleng, j’ai aussi beaucoup interviewé les habitants qui entourent le musée. Pour savoir comment ils avaient trouvé les lieux en 1979. j’ai retrouvé des endroits, comme le seul cinéma encore ouvert sous le régime Khmers rouges, ou l’entrepôt de la gare ou avaient été exécutés certains opposants. J’y ai photographié les traces de mains contre les murs.
 
Pourquoi avoir choisi de composer l’exposition en dyptiques ?
J’aime imaginer un système de petites histoires ou l’on voit une personne d’une part et son décor ou bien un détail de son corps d’autre part. la photo est une image arrêtée. Le dyptique permet selon moi d’ajouter du « son » ou des « odeurs ». la technique m’importe peu. Je n’ai pas de pied, pas de pellicule ultra sensible, mais seulement un boîtier avec une focale fixe de 50 mm qui ouvre à 1,4. Comme dirait Robert Capa, ce n’est pas l’appareil qui doit bouger, c’est vous.
 
Est-ce le même effort qui a guidé votre utilisation d’une lumière très particulière ?
Depuis dix ans, je ne travaille qu’à l’aide de lumière naturelle. Ici, j’ai expérimenté progressivement la photo impossible. Celle prise au moment ou tous les autres s’arrêtent, du fait que l’éclairage est trop faible et nécessite l’usage d’une vitesse d’obturation très lente. J’ai donc photographié sans flash, sans pied, à 1/2 seconde voire une seconde de pause, avec une pellicule de 100 asa.
 
Pas question alors de prendre de photos volées, non ?
Exactement. De toute manière « l’instant décisif » à la Cartier-Bresson, ce n’est pas pour moi. Ça m’oblige à longuement penser mes clichés avant de les prendre. Le portrait d’un enfant pris à Tuol Sleng a par exemple nécessité que je repère des jours durant le moment exacte ou un raie de lumière tombait sur son visage, au crépuscule, pour enfin le saisir à main levée et faire exploser deux-trois couleurs au maximum.
 
Votre histoire avec le Cambodge va-t-elle se poursuivre ?
Non, elle se termine là. De la même manière que celle qui m’a conduit à La Havane, mon histoire s’achève avec l’exposition.

Propos recueillis par Julien Lécuyer pour Cambodge Soir – Phnom Penh-Cambodge-mars 2005

Myself in Le Bocor – Kampot Cambodia 2004 “Mémoire des années de pluie”

Vernissage of my exhibition at CCF of Phnom Penh, Cambodia 2005 “Mémoire des années de pluie”



© Nicolas Pascarel 2017